Manque de spectacle en piste : la F1 est-elle vraiment malade ?

La domination insolente des Flèches d’Argent depuis le début de la saison, couplée à un Grand Prix de France soporifique à souhait, a relancé l’éternel débat sur le manque de spectacle en piste dans la discipline reine. Mais au fond, la F1 est-elle réellement malade ? Était-ce vraiment mieux avant ?

La même rengaine est répétée inlassablement dès qu’on assiste à une course ennuyeuse : la F1 souffre cruellement d’un manque d’intérêt en piste. Au soir du Grand Prix de France – l’une des épreuves les plus fastidieuses et insipides de ces dix dernières années – c’était la foire aux jérémiades. Certains observateurs estimaient que la F1 devait rapidement faire sa révolution si elle ne voulait pas disparaître.

Des propos – à mon sens – totalement disproportionnés. Preuve s’il en est : la semaine suivant le GP du Paul-Ricard, les montagnes de Styrie nous offraient une course haletante et riche en rebondissements, tandis que Silverstone nous a gratifiés le week-end dernier de l’une des courses les plus mouvementées de l’ère hybride. Avec en prime, un duel somptueux et homérique entre les deux chefs de file de la nouvelle génération.

Ce retournement de situation nous rappelle qu’il ne faut pas toujours tirer trop vite des conclusions définitives et assassines. Bien sûr, la domination qu’exerce Mercedes transforme parfois ce championnat en une procession dominicale. Et la compétition à l’avant-plan manque de relief. Mais ce n’est pas la faute des Allemands : ils travaillent simplement mieux que leurs adversaires. Ils maîtrisent les pneus Pirelli, leur concept aérodynamique fonctionne et leur organisation quasi-militaire est un modèle du genre.

C’était mieux avant ?

Face à cette hégémonie sans précédent, nombreux sont ceux qui aimeraient un retour à la F1 d’avant. Mais en réalité, elle n’a jamais fondamentalement changée. Depuis la première course à Silverstone en 1950, la discipline reine a toujours alternée entre des épreuves palpitantes, normales, moyennes et médiocres. Les critiques face au manque de spectacle ont toujours été présentes. Le problème quand on jette un coup d’œil vers le passé, ce qu’on a tendance à revêtir nos lunettes roses. Notre regard est biaisé et notre perspective est indûment idéaliste, optimiste ou nostalgique. Nous évacuons – inconsciemment – les éléments sans intérêts, pour conserver uniquement ceux qui nous plaisent. Un comportement humain auquel nous sommes tous soumis. 

Prenons par exemple cette période considérée comme l’une des plus belles de la F1 : la fin des années 80 et le début des années 90. Tous les amateurs se souviennent des duels héroïques entre Prost et Senna, de l’éclosion de Schumacher ou encore des Williams-Renault au-dessus du lot. Mais durant cette période, la F1 pouvait aussi se montrer diablement ennuyeuse. Les deux ou trois premiers d’une course parvenaient à prendre plusieurs tours à tous les autres concurrents. Les temps de qualification étaient séparés par des secondes plutôt que par des dixièmes. Et le vainqueur d’un Grand Prix franchisait souvent la ligne d’arrivée avec une minute d’avance.

Une attention toujours plus réduite

Eu égard de ce constat, la F1 moderne ne s’en sort pas trop mal. En fait, elle n’était pas plus excitante à l’époque. Elle était simplement différente. Je pense que ce qui a changé, c’est la société. Sommes-nous encore prêts à nous asseoir 90 minutes dans un canapé et regarder une course calme ? La question mérite d’être posée. D’autant plus dans une société où les contenus médiatiques sont consommés de plus en plus rapidement et où les consommateurs ont une envie irrépressible d’être récompensé immédiatement. Le degré d’attention des téléspectateurs est toujours plus court et assister une procession un dimanche après-midi s’apparente à un supplice.

Ceci étant dit, je ne sous-entends pas que tout va bien dans le meilleur des mondes. Les instances dirigeantes doivent réagir rapidement pour pérenniser le sport à long terme. Aujourd’hui, l’un des plus grands problèmes auquel est confronté la F1 est la disparité flagrante entre les budgets des équipes. Et donc en corollaire, l’absence d’équité. Certains teams peuvent se reposer sur la manne financière d’un grand constructeur, lorsque les autres doivent se contenter de bouts de ficelles pour boucler une saison. Difficile dans ces conditions d’avoir une peloton resserré et des batailles entre tous les acteurs.

Pour remédier à cette problématique, Liberty Media essaye tant bien que mal d’imposer un budget plafonné à 175 millions d’euros pour 2021. La mesure, vitale pour assurer une discipline saine, permettra à toutes les équipes de démarrer plus ou moins sur le même palier. Les écuries les plus efficaces dans la gestion d’un budget – par exemple, feu Force India – auront une sérieuse carte à jouer. Pour simplifier à l’extrême, un coffre-fort rempli de dollars ne suffira plus pour se distinguer de la concurrence.

Une égalité de budget, pas de performances

Pour autant, cela ne résoudra pas le manque de spectacle et ne mettra pas un terme aux dominations outrageuses, comme celle de Mercedes. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que la F1 n’est pas une formule monotype. Et ne doit surtout pas le devenir. La F1 est, par définition, autant une compétition d’ingénieurs que de pilotes. Que cela plaise ou non. Même à budget égal, certains acteurs s’en sortiront toujours mieux que les autres et domineront. Il suffit d’observer actuellement Ferrari pour s’en rendre compte. Les transalpins possèdent des ressources financières et humaines similaires à Mercedes, et pourtant l’écart de performance est visible.

L’autre problème fondamental en F1 est la difficulté des voitures à se suivre. Les efforts consentis pour réduire les écarts de performance et concevoir des monoplaces moins sensibles au fameux dirty air sont donc légitimes. Mais cela serait une erreur fondamentale de prendre le chemin – par exemple – de l’IndyCar. La F1 était, est et doit rester le pinacle de l’ingénierie automobile. Même si cela signifie subir, parfois, des courses à mourir d’ennui. L’excellent directeur technique de Racing Point expliquait à cet égard qu« il faut garder la Formule 1 comme pinacle du sport automobile et qu’elle doit être un émerveillement technologique. C’est là que doit se situer le sport, ce n’est pas que faire des voitures proches ».

Green a mille fois raison : la F1 ne se résume pas uniquement à ce qui se déroule le dimanche après-midi. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : les batailles roues contre roues doivent constituer le cœur du sport. Nous souhaitons tous voir les meilleurs pilotes du monde s’affronter à des vitesses folles. La chair de poule procurée par une bagarre en piste est au-dessus de tout. Mais aimer la F1, c’est aussi accepter qu’il ne s’agit pas toujours d’une discipline où les acteurs se battent à armes égales. La F2 et la F3 remplissent très bien cette mission.

Je suis peut-être le seul, mais je reste fasciné par tous les à-côtés. Les innovations technologiques, la course au développement, le fonctionnement d’un moteur, le rôle de l’air dans l’efficacité d’une monoplace : autant de points qui font partie intégrante, depuis les origines, du sport et qui méritent qu’on s’y intéresse. Alors oui, la F1 doit s’adapter à son temps. Notamment grâce un règlement moins permissif, des voitures moins sensibles et des budgets plus serrés. Mais évitons une standardisation qui serait mortifère pour l’ADN de la F1.

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