Affaire Renault-Racing Point : les éléments pour comprendre
L’écurie Renault a annoncé à l’arrivée du Grand Prix de Styrie qu’elle portait officiellement plainte contre Racing Point. L’équipe française conteste la légalité de la RP20, qu’elle juge être une copie-conforme de la redoutable Mercedes W10. Analyse et décryptage d’un dossier hautement complexe.
La légalité de la Racing Point cuvée 2020 fait les choux gras du paddock depuis les essais hivernaux. La RP20, confiée cette saison à Lance Stroll et Sergio Pérez, présente en effet de troublantes similitudes avec la W10, la monoplace engagée par Mercedes lors de la saison 2019. En coulisse, d’aucuns n’hésitent pas à qualifier la Racing Point de « Mercedes rose ».
À cet égard, la plainte déposée par Renault est tout sauf une surprise. Depuis les essais de Barcelone, la Racing Point impressionne par ses chronos. Les deux premiers grands prix de la saison ont même laissé entrevoir une monoplace dont le rythme pourrait bien contrarier les plans de certaines équipes, McLaren et Renault en tête.
Un peu de documentation. pic.twitter.com/zNUPyZByQW
— Au Rupteur (@AuRupteur) July 12, 2020
Certains se sont étonnés du timing choisi par Renault. Pourquoi attendre la deuxième épreuve de la saison pour déposer une réclamation alors que de gros doutes existaient déjà en février ? En réalité, une réclamation n’est possible que devant les commissaires sportifs lors d’un week-end de course. Renault n’aurait donc pas pu entamer cette procédure lors des essais hivernaux, où les écuries sont libres de tester ce qu’elles souhaitent (dans le respect des protocoles de sécurité, bien entendu).

Que reproche-t-on exactement à Racing Point ?
Dans sa réclamation déposée devant les commissaires sportifs de la FIA, le Renault F1 Team estime que la Racing Point RP20 enfreint les articles 2.1 et 3.2 du règlement sportif, ainsi que son annexe 6 (consultables ici, pages 2 et 55). Concrètement, l’écurie française prétend que les écopes de frein avant et arrière utilisées sur la Racing Point ne sont rien d’autres que des copies de celles montées sur la Mercedes l’an dernier.
Si Renault fulmine, c’est parce que ces écopes de freins font partie des sacro-saintes « pièces listées ». Il s’agit de pièces que toutes les écuries doivent elles-mêmes fabriquer pour pouvoir revendiquer le statut de constructeur. On y retrouve généralement toute une série de composants qui impactent substantiellement la performance de la voiture (châssis, surfaces aérodynamiques, etc).
La réglementation à ce sujet est très stricte. Elle stipule qu’un concurrent « doit utiliser dans ses monoplaces des pièces qu’il a conçues« , qu’il en « conserve la propriété intellectuelle tant qu’il court en F1 » et que la sous-traitance pour concevoir certaines pièces ne peut pas être confiée « à un concurrent ou un sous-traitant d’un concurrent qui participe au championnat du monde« .
Sous-traitance ? Vous avez bien lu. Les équipes doivent fabriquer elles-mêmes ces pièces MAIS, techniquement, une écurie a parfaitement le droit de sous-traiter la conception et la fabrication de ces pièces, à condition que le sous-traitant ne soit pas engagé en F1. L’exemple le plus connu est celui de Haas, qui sous-traite une partie de ses activités à Dallara.
Pour Marcin Budkowski, directeur exécutif de Renault, le constat est sans appel : Racing Point a copié le design des écopes de freins Mercedes au moment de concevoir sa monoplace. Or, Mercedes est un participant au championnat du monde. Il s’agit d’une infraction à la réglementation sportive, plus précisément à l’Annexe 6.

Une histoire de propriété intellectuelle
À travers sa plainte, Renault ne remet pas en doute la conformité technique de la RP20. La monoplace respecte entièrement les standards en vigueur et les normes imposées par le règlement technique. La pierre d’achoppement se situe plutôt au niveau des propriétés intellectuelles.
Comme expliqué ci-dessus, toute pièce listée doit faire l’objet d’une propriété intellectuelle propre à l’écurie. Si un concurrent la conçoit, il en détient la propriété exclusive et ne peut pas la vendre/échanger à une écurie adverse. Dans le camp de Viry-Chatillon et d’Enstone, on estime que Racing Point utilise la propriété intellectuelle de Mercedes en reprenant exactement les mêmes écopes de frein. Un peu comme si vous aviez recopié le devoir de votre camarade lorsque vous étiez au collège.
Certains passionnés ont fait remarquer – très justement – que la copie n’était pas une pratique nouvelle dans la discipline reine. En effet, il n’est pas rare de voir une équipe s’inspirer librement de la philosophie d’une écurie rivale ou adopter des pièces au design similaire. Chaque équipe surveille ses concurrents et reprend les meilleures idées.
Un échange d’informations sous la table ?
En début d’année, Andy Green, le directeur technique des roses, avait expliqué, sans langue de bois, que ses ingénieurs s’étaient basés sur des photos pour reproduire une monoplace similaire à la W10. Ce qui est une pratique tout à fait légale. Néanmoins, le cas de Racing fait grincer des dents car il ne s’agirait plus d’une simple inspiration mais d’une copie en bonne et due forme.
Selon les premiers éléments de l’enquête, le problème se situerait au niveau des systèmes de flux internes des écopes. Dans son réquisitoire, Renault explique que les détails internes ne sont pas visibles de l’extérieur et qu’il est donc impossible de les reproduire avec de simples photos, sans avoir accès à des informations confidentielles. Traduction : Mercedes et Racing Point auraient procédé à un échange d’informations. Une pratique illégale.
Des soupçons renforcés par le fait que Mercedes et Racing Point entretiennent une relation étroite, la première fournissant ses suspensions et son bloc propulseur à la seconde. De là à dire que les deux parties se sont entendues pour s’échanger des informations confidentielles, il n’y a qu’un pas … qu’on ne franchira pas.
OK, time for you to play FIA steward in a little game of Guess Who, I can tell you now they’ve not got glasses or a beard… 😏🕵️ Is it a @MercedesAMGF1 W10 or a @RacingPointF1 RP20?.. pic.twitter.com/zGrsn8Kir1
— Matthew Somerfield 🅢🅞🅜🅔🅡🅢Ⓕ① (@SomersF1) July 12, 2020
Que risquent Racing Point et Mercedes ?
Du côté de l’écurie anglaise, deux cas de figure sont possibles :
Soit Racing Point parvient à prouver qu’elle a elle conçu elle-même les écopes de freins, sans aide extérieure de la part de Mercedes, et la plainte est rejetée. Dans un communiqué publié sur le site officiel de Racing Point, l’équipe se montre sereine. Circulez, il n’y a rien à voir.
« Racing Point est très déçue de voir les résultats du Grand Prix de Styrie suspendus. Nous considérons cette protestation comme incongrue et mal informée et nous rejetons toute suggestion de non-conformité au règlement. Avant le début du championnat, le team a totalement coopéré avec la FIA. Nous avons répondu positivement à toutes les questions soulevées à propos de l’origine du design des pièces de la RP20 ».
Soit Racing Point ne parvient pas à prouver que ses ingénieurs ont conçu eux-même les pièces incriminées et les juristes considèrent que le design des écopes de freins relève de la propriété intellectuelle de Mercedes. Dans ce cas, Racing Point se retrouverait en très fâcheuse posture. A minima, l’équipe d’Otmar Szafnauer pourrait être disqualifiée du Grand Prix de Styrie, avec l’obligation de redessiner complètement ses écopes de freins.
Du côté des champions allemands, la FIA devra déterminer s’il y a bien eu un échange non-autorisé d’informations. Si c’est le cas, une sanction n’est pas impensable. Mais à l’heure actuelle, évitons de supputer sur un dossier dont nous n’avons pas tous les éléments.

D’autres pièces sont-elles concernées ?
L’un des éléments clefs de ce dossier est que la plainte de Renault se concentre uniquement sur les écopes de freins. Probablement parce qu’il s’agit d’un des exemples les plus frappants. Toutefois, d’autres pièces de la voiture pourraient être remises en question.
Dans les faits, Renault espère que la FIA va sauter sur l’occasion pour jeter un coup d’œil aux autres composants de la voiture. Si elle découvre d’autres pièces problématiques – c’est l’hypothèse la plus extrême – Racing Point aggraverait son cas et une disqualification pure et simple du championnat du monde serait alors envisageable.
Un cauchemar pour l’équipe de Silverstone, dans la mesure où il est impossible de redessiner complètement une voiture depuis zéro au beau milieu de la saison. D’autant plus que le développement des voitures a été plus ou moins gelé pour 2021 afin de réduire drastiquement les coûts.
Quelle suite pour cette affaire ?
Une des hypothèses soulevées par Marcin Budkowski lui-même est que Racing Point a utilisé des informations datant de 2019 pour concevoir sa monoplace 2020. Sauf que de l’eau a coulé sous les ponts en un an. À l’époque, les écopes de freins ne faisaient pas encore partie des pièces listées. Elles ont intégré cette liste … cette saison ! Des échanges d’informations à ce sujet étaient donc encore autorisés l’an passé, et cela expliquerait comment l’équipe s’est retrouvée en possession d’informations aussi précises. En résumé : Mercedes a peut-être fournie des informations de manière toute à fait légale à Racing Point, mais cette dernière a fait l’erreur de les utiliser pour concevoir la RP20, la réglementation ayant changée entre temps. Vous suivez toujours ?
Toujours est-il que la plainte, jugée « recevable », va être analysée « dans le détail » par le département technique de la FIA. Les stewards ont mis sous scellés les écopes de frein des deux Racing Point RP20, et demandé à Mercedes de leur fournir un exemplaire des écopes de frein avant et arrière de sa monoplace de l’année dernière, la W10. De cette manière, la FIA va pouvoir effectuer une analyse comparative et décider si, oui ou non, les écopes de freins sont les mêmes sur les deux monoplaces. Le cas échéant, des sanctions seront prononcées.
Enfin, il n’est pas exclu que ce dossier prenne des tournures juridiques dans le cas où les avocats des deux parties seraient amenés à débattre sur la question de la propriété intellectuelle d’une pièce mécanique. Mais là, c’est un tout autre domaine. Laissons les experts trancher.
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