Spa-Francorchamps : le David contre Goliath de la F1 moderne
Petit tremblement de terre dans le microcosme de la Formule 1. La place de l’Europe est à nouveau mise en danger dans le grand concert international. Certains circuits légendaires pourraient quitter le calendrier de la catégorie reine, à commencer par Spa-Francorchamps, dont le contrat expire dès cette année.
Joyaux parmi les joyaux, le circuit de Spa-Francorchamps a accueilli le Grand Prix de Belgique à 54 reprises. De quoi lui assurer une place VIP au calendrier mondial ? Liberty Media et Stefano Domenicali ne l’entendent pas de cette oreille. Il faut dire que les instances dirigeantes se sentent pousser des ailes. Portée par une popularité toujours plus grandissante, la F1 doit jongler avec un nouveau paradigme. Les promoteurs se bousculent au portillon, au premier rang desquels les USA et les pays du Moyen-Orient. Les Accords Concordes, en vigueur jusqu’en 2025, limitent le nombre d’épreuves à 25 par an. Aussi, une lutte sans merci s’est engagée entre plusieurs candidats pour décrocher l’organisation d’un GP.
Erik van Haren : "La F1 veut continuer avec 🇳🇱 Zandvoort, mais 🇧🇪 Spa et la 🇫🇷 France sont peut-être sur le départ. Les chances de Spa sont minces mais ont augmenté récemment avec l'annulation du GP de 🇷🇺 Russie." #F1https://t.co/12qF2VMmSl
— Au Rupteur (@AuRupteur) March 23, 2022
La menace qui plane sur les Grands Prix européens n’est pas nouvelle, mais elle s’accentue chaque jour davantage. L’équation est limpide : les promoteurs du vieux continent ne pourront jamais rivaliser avec les Etats-Unis et le Middle East, deux parties du monde avec lesquelles le rapport de force financier est déséquilibré. Les racines européennes de la F1 sont toujours brandies en porte-étendard pour défendre et sauver les circuits historiques. Mais elles ne valent pas grand chose face aux arguments sonnants et trébuchants avancés par certains promoteurs aux dents longues.
Domenicali, dans un exercice d’équilibriste assez farfelu, continue de répéter à qui veut bien l’entendre que la discipline souhaite atteindre un équilibre entre les nouvelles courses et les épreuves historiques. La réalité est bien moins romantique : seuls les plus grands portefeuilles auront voix au chapitre. Sans grande surprise, les places sont assurées aux pays capables de faire tourner la planche à billet, à savoir : l’Arabie Saoudite, l’Azerbaïdjan, le Qatar, la Chine, Bahreïn, Abou Dhabi, Miami et sans doute bientôt Las Vegas. Seule exception notable : la Hongrie, qui a sécurisé sa place jusqu’en 2027 moyennant un chèque annuel de 36 millions d’euros.

Spa-Francorchamps, le petit poucet face aux géants
Dans ce contexte financier international, Spa-Francorchamps fait office de petit poucet avec son plateau à « seulement » 20 millions d’euros. Ceci dit, les discours menaçants de Liberty Media envers les promoteurs européens n’inquiètent pas outre mesure les dirigeants de Spa Grand Prix, la société organisatrice du Grand Prix. Le circuit se veut même plutôt rassurant. Vanessa Maes, la directrice de Spa GP, tenait un discours rassurant lors de sa visite à Bahreïn. Selon elle, les négociations en cours se déroulent bien et tous les signaux sont positifs. Les deux parties souhaitent s’entendre sur un contrat pluriannuel.
Même si le circuit ne va évidemment pas tenir un discours contraire au beau milieu d’âpres négociations, plusieurs arguments laissent à penser que Spa-Francorchamps devrait sécuriser son avenir très prochainement. Les investissements consentis cet hiver pour moderniser le circuit, le sécuriser davantage et l’ancrer dans son époque ont tapé dans l’œil de la F1, Domenicali invitant les circuits à « élever leur niveau de jeu en matière d’infrastructures afin de suivre le rythme ». Par exemple, grâce au plan Digital Wallonia, visant à numériser la Wallonie, le circuit sera bientôt le plus connecté de la planète. Ce n’est pas encore la panacée, certaines équipements et installations sont encore vieillissants, mais la dynamique est positive.
Ensuite, pour la première fois de son histoire, le GP sera complet 5 mois avant la date. Du jamais vu ! Les 100 000 tickets journaliers ont d’ores et déjà trouvé preneur. L’argument peut sembler léger, mais la Belgique n’ayant pas les moyens de rivaliser financièrement, le succès populaire de l’épreuve (tant d’un point vue des audiences TV que des spectateurs) pèsera sans aucun doute dans la balance.
« Notre GP est historique et fait partie du championnat depuis le début des années 50. Le circuit est très apprécié. Et puis il y a énormément de travaux qui ont été réalisés pour la sécurité mais aussi au niveau de l’ajout de bacs à gravier pour retrouver un style un peu “old school”. Tous ces éléments mis bout à bout me font penser qu’on a toutes nos chances de prolonger. On est en négociations et je crois dur comme fer qu’on va signer un nouveau contrat pour plusieurs années. C’est clair que pour un tas de raisons, il vaudra mieux être fixé sur notre futur avant cette édition du GP. Mais celui-ci a lieu fin août, on a quand même encore un peu de temps » a déclaré Vanessa Maes à Gaëtan Vigneron depuis le paddock de Bahreïn.

Etat et F1 : « Je t’aime moi non plus »
De son côté, Melchior Wathelet, le président du GP, évoque avec beaucoup de justesse la petite guerre des mots entre Liberty Media et les promoteurs durant les négociations de contrat. Selon lui, ces derniers ne doivent pas se laisser impressionner par les pays émergeants et les USA, mais au contraire revendiquer avec fierté leur ancrage européen dont la F1 ne pourra de toute façon jamais se passer complètement.
La seule barrière pourrait venir de la Région wallonne. Spa GP devra en effet convaincre les autorités politiques de mettre la main à la poche, le prix du plateau allant nécessairement grimper. Mais faire les yeux doux à la tutelle wallonne ne sera pas une mince affaire. Si la légitimité du Grand Prix n’a plus provoqué de grands débats depuis plusieurs années, la relation entre la F1 et l’Etat belge n’a jamais été un long fleuve tranquille et s’apparente plus à un « Je t’aime moi non plus ».
L’Etat a toujours traité la F1 et ses passionnés avec beaucoup de mépris, comparativement à d’autres sports. La catégorie reine n’a jamais été perçue comme une opportunité économique et sportive, mais comme un spectacle auquel il faut s’accommoder avec des voitures thermiques qui tournent en rond pendant deux heures (parfois beaucoup moins, argh). Par exemple, jusqu’en 2016, les décideurs politiques n’avaient jamais eu l’idée, pourtant élémentaire, de réaliser un audit sur les retombées économiques de cet événement international. Preuve s’il en est que la F1 n’est pas considérée à sa juste valeur. Le contexte économique actuel n’arrange pas du tout la situation. Dans l’opposition politique, certaines voix s’élèvent pour demander de débrancher la prise et se débarrasser une bonne fois pour toute de cet encombrant boulet.
La F1 rapporte de l’argent à la Belgique
Pourtant, les retombées économiques pour l’Etat fédéral et la Wallonie sont bien réelles. La société Spa Grand Prix, financée intégralement par la Région wallonne, verse chaque année environ 20 millions d’euros à la FOM. La vente des tickets, qui ne cesse de croitre, compense grosso modo le prix du contrat. Si on en restait là, on serait donc plus ou moins à l’équilibre. Mais, à côté, il y a naturellement aussi toute une série de frais de fonctionnement.
Au total, selon les comptes publics, depuis 2007, le Grand Prix de Belgique a coûté 60 millions d’euros aux contribuables wallon pour éponger les déficits. Mais c’était sans compter sur le fait que l’événement F1 a généré le triple en retombées économiques pour l’ensemble du pays. En 2019, les retombées économiques ont été estimées à 29,5 millions d’euros au niveau national, dont 20,5 millions d’euros en Wallonie.
Spectateurs, bénévoles, écuries, personnels, officiels, médias : tout ce petit monde vit au rythme de la Formule 1 pendant une semaine. Une aubaine pour les établissements hôteliers, les restaurants et les attractions touristiques de la région. Selon les enquêtes, il a été constaté qu’en moyenne, chaque client dépense durant son séjour un montant de 442 euros sur le circuit (tickets, boissons et repas, merchandising) et 312 euros en dehors du circuit (logement, boissons et repas, shopping, visites touristiques, etc.)
Gageons, avec un brin de naïveté et d’optimiste, que les deux parties auront la lucidité de reconnaitre qu’elles ont besoin chacune l’une de l’autre. Et dans le cas de figure où Spa-Francorchamps parvient effectivement à sauver sa place, il faudra pleinement mesurer l’exploit que ce nouveau contrat représente dans un contexte concurrentiel jamais atteint en F1.
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